Vamos, Nina
Astor Piazzolla
Allez, Nina
N'aie pas honte, Nina, non,
quelle honte pourrait comprendre
le salaud de ce bar
qui t'a frappée et crachée dessus ?
Caresse le pou du chien
que tu as, et dis-lui
qu'au milieu de la crasse tu as trouvé
une épaule amie où mourir.
Ouvre bien les orbites de tes yeux,
bien grands et crache
d'un seul vomi brutal
ta solitude et allons-y !
Regarde comme tu es belle
avec ta tendresse debout,
et tu n'es pas seule, Nina, non,
je suis avec toi.
Nina,
ne pleure pas, mords-toi les yeux,
prends-moi les mains bien fort,
s'il vient la mort, qu'elle se démerde :
qu'elle paie, de force et un par un
les jours heureux qu'elle doit.
Ma Nina,
avec des têtes de colombe
nous courrons jusqu'à jamais
par la tombe des oiseaux mendiants
qui ont trouvé la sortie
et nous sortirons de la crasse
en sautant, transparents,
inmortels, allons, Nina !
Allez, Nina !,
courons, ma vieille, courons.
Si le vent t'emmêle le haillon,
si le froid te blesse les jambes,
ne lâche rien, ne t'arrête pas, ne reviens pas,
ne attends pas, gémis, cours, cours !
N'aie pas honte, Nina, non,
car personne ne sait vraiment qui c'est.
Regarde si je suis le dieu capable
de faire mille pains avec un pain,
et toi la folle qui une fois
a aspergé ses chiffons d'alcool,
et s'est enflammée pour ne pas voir
les présidents qui s'en vont.
Regarde-moi, sœur, ne tremble pas,
n'aie pas peur de mourir,
les vivants entendent leurs morts
et aujourd'hui, enfin, ils vont nous entendre.
Regarde comme elle est belle
ta dignité debout,
et tu n'es pas seule, Nina, non,
je suis avec toi.
Allez, Nina !, allez, Nina !,
ne lâche rien, ne t'arrête pas, ne reviens pas,
ne attends pas, ne gémis pas, cours, cours !