Allí Donde Alcé Mi Rabia
José Larralde
Là Où J'ai Levé Ma Colère
Je continue à arpenter les chemins que me conseille mon étoile
Et la trace de mon destin lyrique s'approfondit
Pèlerin implacable de nostalgies aventureuses
Je m'élève vers les hauteurs des âmes malheureuses
Et à chaque note jouée, je pulse la même amertume
Marcheur de solitudes où le paysage est incertain
Où celui qui lâche est mort, où celui qui se gonfle souffre
Là, là seulement fleurit la chanson de mon instrument
Là où j'ai levé ma colère pour prouver que j'existais
Là où la lutte n'est que survivre
Là mon sentiment de combat et de rébellion grandit
Dans la même plaine, la même colline et la même étendue
Là dans la même épaisseur ; rivière, couteau ou salpêtre
Chaque fois le vautour grandit tandis que celui qui sue s'affaiblit
Là où l'aube brise son silence avec un coup de hache
Là où à force de bras on creuse le minerai
On ne boit que du sel dans le sifflement de l'échec
Là où celui qui laboure la terre avec la charrue
Là où celui qui pêche garde le ventre vide
Là naît la douleur de la faim officialisée
Là ici et où le ciel s'assombrit comme une cheminée
Là ici et où que ce soit, où l'homme est un outil
La facture s'alourdit qu'on paie dans la lutte
Là ici et où que ce soit où la terre est un berceau
Les illusions et les espoirs se brisent en morceaux
Foi, justice et balance penchent du côté du crépuscule
Où l'idée s'éteint parce que la table est douleur
Où la fleur de la jeunesse incrédule succombe
Là commence ma vie de témoin troubadour
Où mourir n'est qu'un processus inaperçu
Par la loi d'être né, être vivant et mortel
Et la gloire est aussi complète que la loi de l'oubli
D'où je viens et où je vais dans un quotidien errant
Sans mirage en regardant, sans concession ni mensonge
La vie que je vois, regarde... Et ce n'est pas par hasard
Chaque tronc, chaque pierre, chaque herbe, chaque sel
Si c'est bien ou si c'est mal, c'est une affaire divine
Mais si c'est sur le chemin, l'homme doit l'éclaircir
La réponse doit naître et le pourquoi doit naître
Chaque être devra voir quelle est sa faute ou son droit
Pour chaque pas, il y a un chemin qui reste à parcourir
Dans l'obscurité du séisme, la philosophie meurt
Claire comme la lumière du jour, elle répond à sa transparence
Et la science de la science se demande encore
Quelle est la cause première de la première ironie
Quelle est la nuit sombre avide de se multiplier
Où l'homme va se rassasier de son désir de fantaisie
Quel est l'orgasme fétide qui féconde la fausse
Quelle est la mère qui l'élève, quel est le lait qui nourrit
Quand l'homme se rend compte, il est déjà la chair de son hérésie
Ignorance de savoir qu'il ignore toute chose
Ignorance honteuse de penser qu'on ne sait pas
Dans chaque cerveau, il y a des épines et des roses
L'après-midi de mon arrivée au pays, la réalité
À peine j'ai pu accorder les cordes de ma guitare
Parce qu'au milieu de la fête, il n'y a pas de temps à perdre
J'ai tout de suite deviné que c'était mon tour
Peut-être si j'avais désaccordé, je n'aurais pas été remarqué
Mais si j'avais menti, aujourd'hui même le sifflement me manquerait
J'ai chanté des milongas et des styles, des chiffres tristes et des récits
Pour chaque chanson, un portrait de l'expérience paysanne
Et je n'ai jamais chanté des bêtises juste pour passer le temps
Sans critiquer les raisons de celui qui chante pour chanter
Je pense juste qu'une peine le tourmente
Et je me souviens de la brebis quand elle se gratte
Je ne choque pas pour choquer même si j'ai quelques bosses
Je me préserve de me mettre en travers, de ne pas vivre négligemment
Un chien qu'on a frappé fait le boiteux au premier mouvement
Parfois on m'a dit des choses qui dépassent le plus aguerri
Avec les cartes en main, on m'a fait trembler le menton
Il n'est pas pareil de juger de l'extérieur quand on opine... Paysan
De l'extérieur tout est pain sucré, de l'intérieur c'est biscuit dur
Où la raison échoue, tu vas droit à l'abattoir
Et je ne suis pas un veau pour qu'on me découpe la chair
J'ai une expérience à revendre que j'ai apprise dans les embrouilles
Ce ne sont pas toujours les plus rusés qui coupent le lien
Il y a des doux qui d'un coup de viandazo te remplissent de pella le cuir
C'est pourquoi, dans ces lieux appelés la réalité
Je me mêle souvent à tant d'autres chanteurs
Qui sans être docteurs diagnostiquent la vérité
Je sais qu'il y a des maladies que je ne pourrai jamais guérir
Mais j'essaie d'expliquer la variété du microbe
Causant tant d'opprobre que personne ne doit ignorer
Si Dieu le voulait, j'aimerais être un sage en énigmes
Pour que le fils des fils avec mon avis brillant
Trouve à l'avenir un futur plus soigné
Si Dieu le voulait, mais il semble que non
À quatre pattes, si j'élève la voix sans autre sagesse
Que d'enchevêtrer dans ma poésie la misère et la douleur
C'est la raison de celui qui a souffert d'être le miroir de la vie
De chaque joie perdue, de chaque nouvel espoir
Et ne pas attendre qu'il pleuve pour se mouiller dans la pluie
Les douceurs ne se louent pas et les douleurs ne se vendent pas
Les amours ne se prêtent pas, les tendresses ne se volent pas
Et même si le curé te communie, seul Dieu te fait des faveurs
Comment faire pour se taire si j'ai un nœud dans le ventre
Je ne sais pas si je vais rester muet, je ne sais pas si je vais mourir d'une crise
Mais si j'aide à l'accouchement, ce ne sera pas par paresse
Un médaillon d'arrogance orne mes libertés
Et un médaillon d'humilité mon respect de paysan
Pour chaque main, une main, pour chaque vérité, des vérités
En temps de mystère pour celui qui se bat d'en bas
En temps où la torche de la paix est en train de s'éteindre
Mon chant va brûler pour éclairer celui qui ne voit pas
Et même si ma chanson brûle son contenu obstiné
Bien que le bâton de ma croix se consume avec mon existence
Ma conscience ne servira à rien si elle ne répand pas sa lumière
Guitare qui dans le paysage de la vie m'accompagne
Délivre-moi des chaînes hargneuses du confort
Et prête-moi l'héroïsme de faire flotter mes entrailles
Guitare qui es le bout du couteau de ma parole
Que tu es la douce moire qui embroche les peines
Donne-moi la belle condamnation d'être ton esclave
Guitare de ce moment où j'ai conjugué le premier chant
Avec innocence et charme qui a amalgamé les solitudes
Je te porte dans des immensités mélancoliques de pleurs
Guitare qui apparaît triste comme un lidio dans la chapelle
Mantille immaculée sur l'autel de la gloire
Peuple qui élève la victoire verticale de sa semence
Guitare qui es le poing d'un pays vivant et latent
Rebelle à l'indifférent, marchand de la pauvreté
Dignité de la grandeur pour la vie ou pour la mort
Guitare qui dans un silence strident et méditatif
Enfoncée dans ton diapason la sage raison du chant
Laisse que ce soit mes pleurs qui brisent ton cœur
Nuage après nuage couvre le soleil de l'espoir
Avec des promesses qui n'atteignent pas, avec une réalité qui n'arrive pas
Avec des mains qui se frottent et d'autres qui ne se reposent jamais
Nuage après nuage qui se transforme en pierre
Sur le champ semé de rêves et d'illusions
Tandis que grandissent les passions prolétariennes et oubliées
Nuage après nuage, pluie de cynisme
Reliques d'un féodalisme ramifiées dans les lois
Rois qui ne veulent pas de rois mais qui règnent quand même
Mortelles académies qui lèvent leurs drapeaux
En attendant une autre attente qui valide leur essaim
Tandis que le peuple affamé ni ne s'ignore ni ne s'en rend compte
L'autruche, quand elle couve, garde des œufs pour les mouches
Naît le charo et comme une couronne, il se mêle à la distribution
Il se remplit jusqu'à être rassasié avec le jabot comme une brique
Mais l'homme, en revanche, naît avec des classes et des différences
Et déjà depuis l'innocence, il commence à voir avec effroi
Que certains comptent avec le combien et d'autres avec l'indifférence
La loi dit que celui qui pleure dans cette vie fugace
Trouvera sûrement la paix dans la douce vie éternelle
C'est comme avoir des jambes et ne pas pouvoir marcher
Élastique proclamé qui s'adapte au critère
Parfois il te rend sérieux, parfois il te fait rire
Mais personne ne dira au-delà du cimetière
Chaque âme qui souffre ici, ici même, la termine
Si par sentence divine tout doit rester oublié
Le futur et le passé s'enlacent dans les latrines
Illustration pèlerine d'un cri de pèlerin
Le riche chante sa chanson et le pauvre sa douleur
Que la citation cérébrale est subordonnée à un moineau
Nostalgies d'une chanson qui idéalise les vertus
Dans des abîmes d'inquiétudes qu'elle entrelace avec angoisse
Magnitude de ce qui reste face aux vicissitudes
Interpellation gratuite le soleil de chaque matin
Quel est le pourquoi de la vaine coïncidence vers le crépuscule
Si chaque jour est un bras que l'astre roi te donne
Parce que l'autre inquiet nourrit sa lutte en cultivant l'angoisse d'un doute catastrophique
Arrosée de celui qui sue coagulé d'audace
Parce que le schéma total sur le visage presque inerte de la vertu
Toujours fort de notre sol organique?
Pourquoi on lui refuse le vol à celui qui est né avec une telle chance?
Pourquoi la mort préfigure-t-elle dans un cordage dénutri
Arraché de l'ouvrage du moteur de la semence
Pourquoi vit-on dans la cage celui qui déborde de son plumage?
Année après année, le siècle, siècle après siècle, le millénaire
Et le bois ne chauffe pas toujours par substance prodigieuse
L'ignorance produite par les génies chauffe plus
L'ignorance est matière pour être des esclaves bon marché
Dispersés ou en troupeaux, ce sont des viandes pour l'abattoir
Sans tabac ni briquet, ni chemise ni chaussures
Enclos pour n'importe quelle gale et coin pour le coup
Bras plus bras plus bras, dos plus dos plus dos
S'il n'y a pas à manger, je ne mange pas, si je tombe malade, je ne fais pas attention
Quand le morceau de vie qui m'échoit se termine
Une autre bouche naîtra pour proclamer mon chant
Et elle incrustera son chagrin jusqu'à la poitrine des rochers
Quelqu'un pleurera et quelqu'un se réjouira
Mais il n'arrivera qu'à ma dernière demeure
Une chanson mâchée avec l'envie de se libérer
Parce que mon pauvre squelette sera un jour
Fragrance et allégresse d'un petit brin épineux
Car il ne sera pas triste de continuer à piquer encore
Il y a toujours l'occasion et c'est pour que l'homme ose
Il n'y a pas de chemin qui ne bouge pas même s'il semble serpent
Quand il y a un droit qui surplombe, c'est triste de ne pas l'essayer
Si je commence à décrire ce qu'est la raison et le droit
Je me fais un nœud dans la poitrine pour ce qu'il en coûte de l'égaliser
Et si je veux le conserver, je suis envahi par ceux du pot-de-vin
C'est pourquoi quand le son se répand sur le sol
C'est parce que le cochon le voulait ou que le gardien est un fainéant
La conscience n'est pas du lard mais parfois c'est de la saucisse
Elle grandit même le plus petit quand la raison l'aide
Mais elle devient pelue quand elle est brandie mollement
Le mensonge bien écrit peut être très courageux
Parfois même la décharnée ne parvient pas à connaître la vérité
Mais si l'on est batará pour les coups reçus
On finira par s'ennuyer de tant de différencier
Réflexion inestimable qui calcule ce qui a été vécu
Depuis avoir été mis au monde jusqu'aux à qui je compte
Si quelque chose me rend heureux, c'est que je ne suis plus endormi
Personne ne me donne rien et même l'opportunité
C'est quelque chose que j'ai payé comme un tribut
Et si je reste un peu bête, je dois aussi le payer
On facture même l'amitié même si on te l'offre
S'ils entrent ou sortent, s'ils montent ou descendent
Et parfois s'ils te baissent, ils te facturent ce qui ne vaut rien
Rongé par le ver de la parole mensongère
Plus d'une fois, la vie se termine avec sa beauté
Et ce qui était autrefois douceur, c'est comme du lait pourri
La charité mesurée parfois jette son rial et finit par être comme un chatouillement dans le ventre
Après que Dieu te bénisse ou que le diable te fasse sonner
Personne ne doit se fatiguer et personne ne doit se plaindre
Avec la charrette jusqu'à l'axe enterré dans le marécage
L'homme est comme un ver galopant sur un poisson
Quiconque le manie se sentira important
Tant qu'il avance ou au moins ne se rebelle pas
Il lui restera la ponte comme une planche de pêche
Et ainsi sans plus de vacance que de baisser la tête
Il devra écorcher ses genoux comme un jeune mamelon
Et il aura toujours un gros ventre qui se remplit à ses côtes
Si j'ai bien gribouillé des pages en notant des événements
De passages affligés, de malheurs quotidiens
Et si j'ai bien pensé à des bêtises en tant qu'années perdues
Si j'ai bien rempli l'âme de colère et d'angoisse
Si j'ai tâtonné à l'aveugle combien d'espoir arrivait
Si j'ai dit à la tabac : Si tu tombes sur le cul, je me rends
Si j'ai tâtonné la virilité en caressant le plat
Peu pour manger du barbecue, beaucoup pour sauver mon honneur
Et ainsi je me suis fait à la lutte de ne pas garder de tripes
Depuis lors, j'ai appris le pouvoir de la parole
Et même si la terre s'ouvre, personne ne pourra me dire
Comment faire pour vivre entre lions ou entre chèvres
Mal l'homme doit le passer s'il abandonne sa dignité
Car ce qui est obtenu à un tel prix ne dure guère
Tout vaut si on a, rien ne vaut si on donne
Je répéterai jusqu'à l'épuisement ce que j'ai déjà dit
Le répéter ne m'afflige pas même si cela me coûte la vie
La faim se répète aussi même si certains ne s'en aperçoivent pas
Tout argument se régit par des échappatoires et des ruses
Carapace brisée qui laisse voir ce qui est à l'intérieur
Dans tout rond, il y a un centre et il y a des ronds à la pelle
Ce qui est difficile est souvent de cerner avec certitude
De se tromper est né la pauvreté mais aussi l'opulence
La première est la conséquence de la seconde : Inclémence
Si en obtenant de la patience, on obtient l'éternité
Il est facile de deviner l'éternel de la misère
La patience est une chose sérieuse quand elle n'a pas de fin
Mais l'homme finit mal quand il gaspille cette vertu
S'il joue son caracú pour ne pas tomber dans l'échec
On le plie d'un coup de bâton et ainsi on lui éteint la lumière
Et en faisant purúpupú dans des discours sentencieux
Le chef flatteur ment à grande échelle et sans dégoût
Tombent le yankee, le russe, le basque, le turc et le jeringoso
Et que dire du barbecue juteux et du pot-au-feu de Marucha?
Que se passe-t-il avec celui qui écoute tant de promesses usées
Si pour faire une yerbeada, il amène le pays à babucha
Que se passe-t-il avec celui qui lutte et se gonfle comme un cheval?
Qui ne peut même plus goûter à la courge dans son assiette
Celui qui se couche canard et se lève avec le coq
Celui qui a déjà un durillon au milieu du cœur
Avec la femme sans culotte et l'enfant sans tricot
Celui qu'on utilise quand on vote en lui promettant plein de choses
Celui qui a raison quand il dit que c'est un mensonge
Celui qui n'a pas de livre, ni dollar ni patacón, et même pas de religion, ce qu'il transpire
Que se passe-t-il avec celui qui meurt seul pour dire non?
Quand à force de rigueur, on étrangle les idéaux
Maux qui alimentent des maux, douleurs qui apportent douleur
Et celui qui tombe par malheur à la fin d'un hôpital
Pour avoir erré d'insomnie à ajuster le salaire
Sûrement il laisse plusieurs avec une visite au manicomio
Ficelle de la ficelle, ta pointe où tu seras
Qui pourrait te trouver pour savoir combien tu mesures
Et te donner par le nez ce que tu me donnes à la nuque
Qui pourrait freiner la vie et la providence
Qui pourrait être conscience pour marteler nuit et jour
Pour effacer la saleté qui se nourrit d'innocence
Interférence tête baissée qui s'approche en réfléchissant
Fonctionnaire interpellant te conseille avec empressement
Que le gros de la chair ne finit jamais devant
Que la mer est en baisse, que le vent va s'arrêter
Qu'il faut savoir attendre le changement d'un secrétaire
Et ainsi je récite un rosaire que je ne pourrai jamais avaler
Et même s'ils me demandent de chanter et me donnent du papier hygiénique
Je vivrai en ingérant de l'arsenic en fouillant ma mémoire
Et ainsi mon histoire restera avec une fiche de schizophrène
Et sans devenir technicien, j'ajusterai ma vis
En donnant forme à l'anneau du monde qui m'entoure
Et même si ce monde ne voit pas, je serai ton acolyte
Et si c'est un peu salé le pain qui t'a communié
Ne blâme pas Dieu ni le saint qui l'accompagne
Car, même s'ils ont leurs manières, la faute te revient
La pucha qui l'a coupé, féroce et ouvert le coup
Si pour avoir un morceau, je dois l'acheter entier
Avant tout, je préfère rouler que marquer le pas
Mon bras se durcit quand je l'ordonne à se taire
Et si je pense à reculer, la patte va en avant
Avec l'œil vigilant, je peux me permettre d'opiner
Parfois je dois faire attention à mon squelette
Comme celui qui a une dette qu'il doit et n'a pas payé
Mais je pense que le chanteur doit chanter les quarante
Je ne fais pas étalage de mes mensonges car je n'ai jamais été menti
Si quelqu'un m'a comparé à un chanteur soigné
Qu'il sache que je ne fais attention que si je me tais sur un tripa
Et ainsi je me retire sans compléter mon concert
Je sais que tout cela est vrai et ce qui va suivre
On ne réussira à me faire taire qu'en me voyant mort.