Al Comandante Ernesto Che Guevara
Alfredo Zitarrosa
Au Commandant Ernesto Che Guevara
(Poème par ballade)
Les mots ne comprennent pas ce qui se passe :
Les vociférantes, les sombres, les dociles,
Celles qui appellent les choses par leur nom,
Celles qui inventent le nom des choses ;
Les mots que j'ai dits ou qu'on m'a dits,
Ceux que j'ai appris dans les livres,
Ceux que j'écris,
Ceux que j'ai pensés en regardant par une fenêtre,
Ceux qui, s'approchant du silence, crient ;
Ceux qui, en touchant le feu, se déchaînent,
Ceux qui échangent les trilles et les tonnerres,
Ceux qui servent la table de ma maison,
Ceux de la calligraphie nette qui tombe sur les murs de l'école,
Ceux qui disent en duo le poisson et l'oiseau ;
Les mots que j'ai eus ou que je n'ai pas eus
Pour appeler le monde et qu'il vienne,
Ceux qui tendent un fil minutieux
Qui va des balcons aux bouches,
Et des bouches à l'histoire, et passent,
Ceux qui passent la nuit entre des papiers,
Ou montent l'escalier de l'insomniaque,
Et s'introduisent dans son rêve à l'aveugle ;
Ceux qui ordonnent le bruit dans les coins,
Ceux qui balaient le vomi de rage,
Ceux qui sautent du fémur à la lune,
Ceux qui coupent l'ombre brûlante,
Ceux qui sculptent un nom dans une pierre
Pour mieux perpétuer l'oubli,
Ceux qui descendent à l'arbre par l'air
Et grimpent au ciel par le tronc,
Ceux qui mastiquent un crabe lent,
Ceux qui annoncent la fin du Carême,
Ceux qui enlèvent le sommeil au meurtrier
Et le laissent dormir et montent la garde,
Ceux qui ne saignent pas, bien qu'on les blesse,
Ceux qui ne meurent pas, bien qu'on les tue ;
Ceux qui volent l'avenir dans un entonnoir,
Ceux qui administrent mythes et vertus,
Ceux qui entretiennent des relations avec le vent,
Ceux qui avertissent de l'eau incinérée,
Ceux qui ouvrent les lèvres de la terre
Cherchant l'astrolabe de ton cri,
Ceux qui te disent, sans croire que tu entends :
-Reviens te battre Ramón, même si tu meurs...
Les mots ne comprennent pas ce qui se passe.